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Stalag XII D
Récits de prisonniers
Jean Louis Morvan

Mémoires du KG

Jean Louis Morvan matricule 49626.

Cinq années d'emprisonnement ne sont pas parvenues à le démoraliser et le détruire. Il a écrit deux cahiers saisis sur des feuilles volantes. Je découvre en même temps que je rédige ces lignes qu'il fût ordonné prêtre deux ans après sa libération…

Le site ci après raconte "son histoire" en tant que prisonnier.

http://grandterrier.net/wiki/index.php?title=Jean-Louis_Morvan_prisonnier_en_Allemagne_de_1940_%C3%A0_1945

Quant aux deux cahiers nous pouvons les télécharger pour le premier à :

http://arkaevraz.net/wiki/images/2/26/Jlm1.pdf

Pour le second cahier à :

http://arkaevraz.net/wiki/images/9/9d/Jlm2.pdf

Cet autre site relate son cursus, notamment de prêtre.

http://grandterrier.net/wiki/images/2/24/KeleierDossierMorvan.pdf

 "Au début du conflit de 1940-1945, en France, Jean-Louis qui avait tout juste 20 ans, écrivait son journal sur des feuilles volantes et racontait sa courte mobilisation suivi de son expérience de K.G. (K r i e g s g e f a n g e n e r), prisonnier en route vers le pays ennemi.

Là-bas en plein cœur de l'Allemagne, dans son premier camp de prisonnier à Limburg (Stalag XIIA), il les recopia dans un cahier de marque Schola, qu'il compléta les années suivantes de deux autres cahiers identiques. A son retour de captivité, sa sœur Elizabeth les recopia minutieusement sur deux cahiers à spirales.

Plus tard ces cahiers furent remaniés et repris au format A4 agrémentés de photographies prises en Allemagne et à son retour de captivité. Jean Cognard entreprit en 2002 la transcription du texte initial des cahiers à spirale et ce travail est téléchargeable sur le site Arkae.org.

Ce qui frappe le lecteur de ses cahiers, c'est la spontanéité du prisonnier, et la fraîcheur de ses observations. Il dit et écrit tout haut ce qu'il pense. Et de cette spontanéité on devine une grande humanité, un sens de l'amitié et de la fraternité entre les peuples. Il dut travailler dur dans les champs, lui l'intellectuel, et affronter les idées nazies de certains de ses patrons de ferme. Et il souffrit physiquement lorsqu'il dut travailler à l'usine IG Farben- Industrie Ludwigshafen où il devait porter des sacs de soude de 100kg.

Après sa libération et son retour, il y eut des prolongements heureux et positifs à sa période de captivité :

• Alors qu'il baptisait le fils d'un ami à Trier, il fut invité à visiter l'usine de Ludwigshafen par un dirigeant de la société BASF (ex IG Farben).

Ce dernier le reçut ensuite à table comme "Ehre Gest" (invité d'honneur) et devant les cadres supérieurs de l'entreprise il relata toute son histoire.

• Son frère Jean-Marie fut prisonnier aussi en Allemagne. Mais contrairement à Jean-Louis il resta dans la même famille à Salgen et il sympathisa avec le fils jeune séminariste allemand du village bavarois.

Ce jeune Anton Schaule fit la connaissance de Jean-Louis après-guerre et ils se consacrèrent à la lourde tâche de rapprochement des peuples français et allemands.

• En 1978, Jean-Louis suggéra à Anton de proposer à ses paroissiens de venir à Ergué-Gabéric. Ils hésitèrent car ils craignaient la rancœur de certains français, mais leur accueil fut très émouvant. La messe de réconciliation à la chapelle de Keranna fut poignante également. Et ce fut le début d'échanges entre la paroisse bretonne et celle de St-Martin d'Augsbourg".

 

Son passage à Trèves au stalag XII D n'est relaté que dans le second cahier.

"Un gros furoncle me pousse au poignet droit. J'aide au Spritzage chez Bauer, mais le dimanche je n'en puis plus. Mon avant-bras est enflé, furoncle, gros comme un œuf, ne mûrît pas ; tout autour, un cerné noirâtre. Vais au docteur de Mannes Manheim : on me l'ouvre au bistouri. Les forces ont failli me manquer. Bras en écharpe. Repos pendant huit jours. Je puis dormir à présent heureusement et cela me dédommage des précédentes nuits blanches où les élancements me réveillaient sans cesse. Le lundi 5 ou 6 juillet, je vais de nouveau au médecin qui me soigne comme un soldat allemand. L'infirmière est, aussi, sympathique et, en cachette, me donne des bandes de pansement. Mais Kosin ne veut plus me voir inactif, malgré le docteur qui veut me garder et finir de me soigner, il m'expédie au stalag de Trèves.

Mardi 15 juillet 1944. Je prends donc le train pour Trèves, ville historique. J'aurais vu avec plaisir les anciennes ruines romaines (thermes, Porta Nigra), cathédrale... Mais je suis K.G. ! ... De la gare je monte le chemin en escalier de bois sur le mont Pétrisberg (plus de trois cent mètres) et voici de nouveau les barbelés (heureusement que je portais des conserves et que mes patrons m'avaient donné pain et beurre !). Le camp et ses misères ! Les figures braves parmi les figures joufflues des employés du camp, tous les plus élégamment vêtus. Formalités harassantes des bureaux, fouilles, et bien entendu la réglementaire douche et dépouillage. Nous quittons un kommando propre où le patron se charge de notre lessive, où l'on se baigne, se douche, pour rentrer dans des baraques pleines de poux et de punaises ! N'empêche, il faut tout passer au dépouillage. Une quarantaine de Russes sont là avec leurs paquets de loques ! Jeunes de douze ans avec vieux de soixante ans et plus. J'arrive cigarette aux lèvres ; tous me fixent. La cigarette devenant mégot, trois ou quatre se précipitent vers moi, tendant la main comme des mendiants, les yeux suppliant et me disant : "Pitchouri". Je leur donne une cigarette ! Malheur ! Un flot d'êtres s'abat et mon paquet est liquidé. Un jour très proche viendra où moi aussi je serai comme eux, sans tabac, car les colis ne viennent plus et alors je serai heureux si quelqu'un me fait cadeau d'une cigarette. Cette misère m'outre contre les Schleus.

A Limburg (stalag XII A) en décembre 1941 j'avais été écœuré aussi de voir la barbarie boche : les Russes étaient parqués au bout du camp français dont ils étaient séparés par des barbelés. Des sentinelles boches avec mitrailleuses surveillaient cette barrière et pas un français ne devait la franchir sous peine de mort : une tête de mort placée à la porte nous avertissait du sort de l'imprudent qui oserait franchir cette zone. Une grande partie de mon temps je le passais à faire les cent pas non loin des Russes. Je venais de Mayence avec les poches et la valise pleines de tabacs de toutes sortes. Me cachant derrière une baraque, je lance aux Russes des paquets de cigarettes. Mais ils sont trop nombreux, trop sauvages, comme des bêtes ils se jetaient sur les cigarettes et se battaient à coups de sabots. Chaque fois il fallait l'intervention d'une espèce de commissaire russe, prisonnier comme eux, qui, d'un gourdin, les frappait au visage. C'était la terreur du camp russe.

Quelle civilisation ! Entre frères de misère la nécessité d'une telle discipline. Il fait plus de moins dix degrés. Hiver rigoureux. Les Russes (majorité de quinze à dix huit ans) n'ont pas de chaussettes, leurs effets ne mériteraient même pas le nom de guenilles, sont chaussés de souliers sans bout ni talon et fixés au pied par des ficelles. Ne reçoivent rien de la Croix Rouge, ni savon, ni nourriture. Tous les jours, des quêteurs français passent dans les baraques avec une couverture où chacun jette sa petite obole : quelques biscuits. Rares sont les prisonniers qui ne fassent leur aumône à ces fantômes squelettiques. La discipline s'est paraît-il relâchée. Quand les premiers Russes sont arrivés, ils ne recevaient pour ainsi dire rien de la cuisine allemande. On les voyait manger l'herbe qui en un rien de temps fut "broutée". Et alors, ils se sont mis à manger le goudron qui recouvrait les toits en carton des baraques. Pour du pain qu'on leur jetait, ils s'entretuaient et les Boches, des "miradors" (poste d'observation surélevé) prenaient part au carnage en tirant dans le tas, des rafales de mitrailleuse ! Heureusement que je n'ai pas connu cette période !

Le premier jour de mon arrivée au camp de Limburg (stalag XII A), après avoir franchi la porte d'entrée, une espèce d'arc de triomphe avec au dessus, sur le fronton, un kolossal aigle portant dans ses griffes la Croix gammée. Le drapeau flotte et bien entendu j'ai dû le saluer ce hideux chiffon. Une grande rue goudronnée traverse le camp. Ce chaque côté, entourés de barbelés, les baraques cachant leurs misères. Je me rappelle toujours de mon passage dans ce camp il y a un an ! Ignominie. Vais dans la fameuse baraque 17, départ pour les kommandos. Lits à étages avec paillasses hideuses où grouillent les bêtes. Je préfère coucher sur le ciment, habillé, mon sac rempli de livres me sert d'oreillers. Tôt le matin, je suis réveillé, messe.

J'étais appuyé contre les barbelés, quand je vois deux infirmiers français portant un brancard recouvert d'une capote bleue. Je n'y fais pas attention car je croyais le brancard vide, puis arrivent deux autres avec brancard, puis les deux prisonniers reviennent. Je suis intrigué et demande l'explication à un camarade : "Oh ! dit-il, c'est un défilé ininterrompu ainsi chaque matin. Ils transportent les Russes morts l'après-midi de la veille et la nuit !". Je suis effrayé ! Quoi ? Des morts ! Suis-je donc en enfer ?

Je fais attention et distingue, en effet, sortant de la capote, des pieds exsangues, sales. Les Russes déshabillent leurs morts pour se vêtir de leurs guenilles et se protéger du froid. Tous les jours il en meurt quinze à vingt ! Personne ne s'occupe d'eux, pas d'infirmerie. Celui qui est trop faible ou malade se couche sur son grabat et là meurt de faim s'il n'a plus la force de chercher sa pitance ; c'est la loi "marche ou crève".

Pas un français ne rentre dans le camp ; les Russes apportent leurs morts à la porte de leur camp où les brancardiers français viennent les prendre. Chaque jour la même scène se répète. Camp pestilentiel, banni à tout autre qu'aux Russes. Les cadavres sont entassés dans une salle et là quand le nombre est atteint (cent) un camion arrive. On charge les morts, comme des paquets, pêle-mêle. Le camion se dirige dans le bled où on construit des fosses communes : la voiture bascule et les cadavres tombent dans la fosse. On les recouvre de chaux, puis de terre. On n'en reparlera plus. Allez ensuite chez les civils, ils vous diront qu'ils combattent pour le maintien de la civilisation, c'est le "Kulturkampf" inauguré par Bismark et que les nazis appliquent à la lettre. Dîtes-leur ces vérités : "Des balivernes", répondront-ils, "la Radio n'en parle pas".

Divine propagande. Goebbels ne sait pas mentir ! ... Ce m'était un soulagement de quitter ces misères que je ne pouvais secourir, de ne plus voir ces morts vivants habillés de vert. Les représailles contre les Boches jamais ne seront assez sévères.

Une diversion. Revenons au camp de Trèves (stalag XII D). Je vais donc aux douches avec les Russes. Spectacles aussi horripilant qu'à Limburg. Un vieux de plus de cinquante ans (je lui donnerais soixante dix), sale, à barbe hirsute, porte sur son dos son fils (douze à treize ans), un squelette. On lui aurait compté les os sans excepter un seul. Le crâne, je ne dis pas la tête, trop lourd tombe sur les os des épaules. Un pied est terriblement enflé et noirâtre : la gangrène. Je me lave. Le vieux et son fils sont à mes côtés.

Délicatement, le père pose son fils à terre et le lave. Je lui passe mon savon. Il veut me baiser la main (geste russe). Le gardien boche (un chien avec une âme de damné) arrive et hurle de se dépêcher et de bien se laver. Mon savon fait le tour parmi ces malheureux êtres tout nus. Le gosse ne peut se tenir debout et s'est faufilé dans un coin. Il est indifférent à tout et s'occupe seulement de respirer : à chaque souffle c'est un sifflement qui sort de sa poitrine et à chaque aspiration sa poitrine se bombe, ses côtes semblent sortir de la peau ! Le Boche s'approche, l'examine, l'insulte : il n'est pas encore assez propre ! Lui commande de se lever, mais le gamin n'entend rien. Furieux, le boche va prendre un tuyau et lui projette un jet d'eau glacée. Sans un mot le gosse s'affale. Le père le prend, muet. Personne ne dit mot, c'est le risque de l'esclavage où l'homme est tellement abruti qu'il est incapable de réflexion et de murmure. Un autre Russe (espèce chinoise) subit le même sort. Nous passons dans une autre pièce où tout nus, nous attendons une heure que les vêtements sortent de l'étuve ! Et je m'en vais à l'infirmerie où les punaises sont les Seigneurs.

Passe la radioscopie. Alors commence une vie monotone, la vie du camp derrière les barbelés. Là-bas c'est la campagne, c'est la vie, la liberté, mais pas pour nous, cette terre est inhospitalière ! Du camp, nous dominons Trèves : vue splendide. En bas, la ville, la Moselle, la cathédrale au toit de cuivre ! Je ne puis goûter ces beautés. Le cœur, en pleine misère, est insensible à tout. Les colis n'arrivent plus, les produits de la Croix Rouge deviennent pour ainsi dire invisibles. Matin, jus écœurant dans des bouteillons de soupe à peine lavés ; plusieurs fois, nous y pêchons des grains d'orge provenant de la soupe de la veille. Midi : soupe-orge. En hiver, ils avaient des betteraves, mais ce n'est plus la saison hélas ! Soir : pain à huit, dix grammes de margarine. Je n'ai pas amené beaucoup de conserves, les évènements se précipitent et il faut songer à un départ, au défilé sur les routes, sans ravitaillement. Aussi ai-je caché, chez mon patron, des conserves auxquelles je ne veux toucher qu'au jour J. Les Russes sont toujours aussi malheureux. Après la soupe, ils viennent de baraque en baraque mendier le restant de soupe ; ils tendent la main, la porte à la bouche, puis à l'estomac, pour indiquer qu'ils ont faim. Les Italiens, troupes de Badoglio, sont aussi malheureux qu'eux. Quand ils sont venus au camp, arrivant de France ou de Grèce, ils étaient bien chargés et venaient échanger tous leurs biens (sacs tyroliens, montres, bagues, pièces d'or prises aux Anglais en Afrique, habits, linges) contre pain et conserves. A présent, ils n'ont plus rien, sont vêtus de loques et eux aussi viennent mendier le restant de soupe sur lequel ils se précipitent.

Des Russes fouillent les ordures et mangent avidement : pain pourri, noir, moisi, épluchures ... Plusieurs meurent pour avoir mangé ces immondices. Jusqu'à l'invasion ils trouvaient à manger chez les français ; ceux-ci recevaient des colis et touchaient à peine à la soupe ; mais l'âge d'or est passé. Certains Russes plus dégourdis viennent avec des pantoufles qu'ils ont taillées dans leur capote (eux vont nu-pieds). D'autres sont cordonniers et vendent des souliers pour des conserves. J'achète une paire pour Michel et une autre pour moi. Nos souliers n'avaient plus d'existence que le nom et je marchais sur les chaussettes russes plutôt que sur des semelles. Des Italiens, tailleurs, fabriquent vestes, pantalons. Me fais faire une veste, arrange mon pantalon. Mes conserves disparaissent ainsi petit à petit. Les Russes fabriquent des jouets : plateau où sont posés poule et poussins en bois, à tête mobile, reliés à une ficelle suspendue à ce plateau et nouée à un caillou. Il suffit de bouger le plateau, le caillou fait tourner, bouger les têtes des poussins et poule comme s'ils picoraient. Oiseau sur deux roues et relié à un bâton. En faisant rouler, les ailes claquent. Même système : roues faisant tourner les poussins autour de la poule. Soldat abaissant ou relevant son fusil ... Amusement pour les grands enfants que nous sommes.

Jour et nuit : alerte ; nous devons aller aux tranchées, y restons des heures entières, histoire de nous ennuyer. Les boches font la chasse à l'homme, la nuit surtout. Je ne suis sorti qu'une fois. Chaque fois que le gardien venait, je me cachais sous le lit, derrière mes valises et mes musettes. Le 16 juillet Couz est bombardé. Nous voyons la ville brûler toute une après midi. 23 juillet, messe pour six camarades morts dans le bombardement de Bad-Kreuznach. L'hôpital a reçu plusieurs bombes incendiaires : l'aumônier et le Docteur français sont brûlés.

20 juillet. Complot manqué contre Hitler. Tout le monde déplore l'échec. Hitler parle le soir même ; il est blessé, mais considère son salut comme un signe providentiel de sa mission divine auprès du peuple allemand : "La Providence confirme ainsi ma mission et j'emploierai jusqu'à la dernière goutte de mon sang pour y parvenir : notre victoire sur le Bolchevisme et le Judéo Capitalisme". Toujours la lutte pour la civilisation. Plusieurs Boches déplorent (en secret) cet échec ... Je dépéris, ne puis m'habituer à ce régime ; le furoncle va mieux, mais ne se cicatrisera pas avant trois semaines. Je ne peux attendre. Je demande à partir.

26 juillet. Ste Anne. Dimanche c'est le pardon de Trégarantec. Première messe de J.M. Dantec. Le mercredi 1er août, je rejoins Traben-Trarbach. Suis heureux, heureux de revoir Michel".

Un récit brut, simple, explicite, très détaillé, et l'on peut se poser la question de savoir comment il a réussi à conserver ses notes avec toutes les péripéties qui lui sont survenues. La mémoire a certainement pallié aux feuillets disparus. Les meurtrissures qui atteignent le corps sont généralement imprimées dans le cerveau. L'horreur des camps, la mort qui rôde, les visions surréalistes de ces êtres faméliques, certains emploieraient le terme de squelettes ambulants, qui s'accrochent à vous, qui pleurent leur douleur sans vouloir la montrer, qui serrent leur mâchoires et se terrent dans un coin comme des bêtes, affaiblis par les privations, ceux à qui on donne le dernier morceau de pain pour leur permettre de vivre un quart d'heure de plus… (voir Albera Andréa, Triangle rouge : communiste).

La mort qui rôde…

Comment l'aurions nous appréhendé en étant à leur place ? Evitons la mauvaise foi et les faux discours ! Personne ne peut le dire. La faux prête à faucher dans la nuit glaciale des plateaux du Pétrisberg et autres camps de prisonniers, le froid qui vous envahit de partout et vous rend amorphe, insensible à plus rien jusqu'à ce que le souffle vous quitte, l'angoisse de ces instants qui pourraient être les derniers, la pensée ultime, celle que vous n'arrivez plus à évoquer parce que les forces vous manquent, celle qui vous annihile le cerveau et vous pétrifie…

Jean Louis est un survivant et à pu témoigner de sa condition…

Lorsque je relis le récit de Jean Louis, la relecture a parfois ses avantages, un déclic se fait dans mon cerveau.

Les douches…

Dans mes "mémoires militaires" un chapitre, me revient à l'esprit. Il s'intitulait : "Aux douches".

Voici ce que j'écrivais à l'époque (j'insère en italique) :

"Le samedi après midi, en général, il y avait séance de douche. Il fallait bien se laver de temps en temps ! Nous y allions en groupe, parfois seuls.

Par pudeur... intéressée, nous évitions de nous mettre tout nu au premier abord.

Prendre une douche habillé c'est une gageure me direz vous ! Nous le faisions pourtant... L'eau coulait sur nous et nous en profitions pour savonner... la chemise ! Ainsi la lessive était faite !

Après un bon rinçage, nous enlevions tout ce qui posait problème, et cette fois nous lavions ce qu'il convenait".

Les douches se situaient dans les bâtiments "en dur" et non dans les baraquements. Il fallait emporter son barda, traverser la grande cour qu'il pleuve ou qu'il vente.

Et là je me remémore, vaguement au vu du nombre d'années passées, l'infrastructure de celles ci. Une grande salle, je dirais entre cent cinquante et deux cent mètres carrés, en sous sol, seules des lucarnes au plafond laissaient passer la lumière, lucarnes en rectangle de trente centimètres de haut sur un mètre cinquante de large.

Tous les deux mètres, un pommeau de douche accroché au mur avec un robinet. Dans un coin le vestiaire composé uniquement de bancs en bois pour poser nos affaires. La pudeur devait passer outre. Nous avions le droit d'y aller à volonté. Parfois nous étions seuls et parfois en groupe. Vous vous doutez que nous n'en manquions pas une pour sortir une carabistouille.

Carabistouille… Serait-ce dans ces mêmes locaux que nos Russes ont subit les avanies décrites par Jean Louis ? Je n'ose y penser. Je ne peux m'y résoudre. Aurions-nous lancé de telles balivernes sachant que des souffrances dépassant l'imagination s'étaient déroulées en ces lieux ?

Impossible pour ma part. Quant aux autres…

Le rire fait oublier l'horreur dit-on ! Se mettre la tête dans le sac, ne pas voir l'indescriptible. Ne pas le voir, sans doute, mais l'écrire, l'écrire pour ne pas oublier…