Accueil

Sommaire

Récits
Stalag XII D
Récits de prisonniers
Tanguy de Courson

Souvenirs de captivité

Le récit de Tanguy de Courson incarcéré au stalag VI A (Hemer/ Iserlohn) où il a passé deux ans et vingt jours de sa vie, est d'une clarté palpable, bien écrit et argumenté, un plaisir à lire si l'on peut dire.

Son histoire rapporte, entre autres, son bref séjour en cellule au XII D (cinq jours) suite à une tentative d'évasion. Une spécificité non décrite jusqu'ici, habitués que nous sommes au camp proprement dit. Pour cette raison j'ai voulu intégrer une toute petite partie de ses mémoires…

"Selon Wikipédia, le stalag VI A était à l'origine un camp destiné aux prisonniers d'origine slave, et il compta jusqu'à 24 000 prisonniers. Situé sur le flanc d'une colline qui surplombe le village de Hemer (dans le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie au Sud-Est de Dortmund), il mesurait approximativement 200 sur 100 mètres. Il était entouré de fils barbelés mais ne disposait pas de tours de surveillance.

Sur les 24 000 prisonniers, 20 000 étaient des Russes, 3 000 des Polonais. Jusqu'à l'arrivée de prisonniers alliés, ils avaient travaillé comme ouvriers agricoles slaves dans les fermes allemandes de la région. Puis arrivèrent 1 500 Italiens et 500 Français, à partir de 1940. Le camp n'avait été construit que pour 10 000 prisonniers.

Il fut libéré par la VIIème armée américaine le 14 avril 1945.

D'après un rapport de l'armée américaine, les conditions de vie dans le camp étaient atroces. L'hôpital abritait 9 000 patients, souffrant du typhus, de pneumonie, de fièvre pourprée, de tuberculose et de dysenterie. Il y avait une moyenne de 100 à 150 décès par jour et des corps gisaient sans sépulture. Les prisonniers étaient en haillons, le corps couvert de poux. Les installations sanitaires étaient à la fois sales et très insuffisantes. La situation alimentaire était cependant ce qu'il y avait de pire. Aucune nourriture n'avait été fournie au cours des quatre jours précédant l'arrivée des Américains. Auparavant, les prisonniers avaient vécu de soupe d'orge (un bol par jour pour les Russes, deux bols par les autres nationalités) et une miche de pain pour dix hommes. Les Russes étaient tous atteints de malnutrition. Les Américains, dont la plupart avaient été capturés peu de temps auparavant, étaient en relativement bon état…"

J'ai également voulu insérer un épisode du stalag VI A concernant les prisonniers Russes. Une confirmation de ce qu'ils enduraient. Le traitement ne devait pas être différent au XII D…

Ce récit a été récupéré sur WWW.stalagvia-16032.com fichier à extension odt. (www.stalagvia-16032.com/.../Captivité-par-Tanguy-de-Courson.odt).

Le site http://leforest.info/post/2007/01/23/Tanguy-de-Courson-officier-de-liaison-a-Leforest-39-45 brosse son itinéraire...

(Les sites "vont et viennent". Pour le premier je ne retrouve plus Tanguy, pour le second, c'est une page blanche ! Recherchez si le coeur vous en dit, seuls les perspicaces trouvent...)

"Agent de liaison avec le 98th Field Regiment R.A. Surrey and Sussex Yeomany Queuen Mary’s Regiment : Guerre et captivité.

Il s'agit d'un témoignage direct recueilli en 1993 :

Ancien Ambassadeur de France, notamment au Zaïre, au Congo et en Norvège, le Comte Tanguy de Courson de la Villeneuve était, à la mobilisation en 1939 attaché au Consulat Général de France à Londres.

Versé à la Mission Française de Liaison auprès de l’Armée Britannique, il est affecté comme officier de liaison et interprète à un régiment de l’artillerie anglais jusqu’au 28 Mai 1940 où il est fait prisonnier au moment où le régiment essayait de regagner l’Angleterre.

"Ces notes ont été rédigées dans le seul but de fixer le souvenir d’une période de ma vie qui, pour moi, fut importante. Elles ont été écrites au fil de ma mémoire sans que j’ai tenté de leur donner un plan quelconque.

Je m’excuse auprès de mes lecteurs éventuels de leur sécheresse et de leur style relâché. Je n’ai eu ni la patience, ni le goût d’essayer de faire, de souvenirs dans l’ensemble peu agréables, une œuvre littéraire. Certains détails, certains faits pourront paraître dépourvus de tout intérêt et indignes d’être rapportés. Si je les ai mentionnés, c’est qu’ils évoquent dans mon esprit des images qui, pour moi, ont du prix…"

L'auteur semblerait (conditionnel) avoir eu au stalag VI A des conditions de vie un peu meilleures que la plupart des prisonniers, ayant eu des tâches de responsabilité plus importantes à l'intérieur du camp. Se faisant passer pour réformé dans un convoi de 1 200 sanitaires qui devait quitter le camp à destination de la France, il a tenté sa chance…

"Nous arrivons à la gare.

Le train n’est pas là. Pendant une heure encore il faudra l’attendre tandis que des sous-officiers allemands comptent et recomptent notre colonne, s’apercevant, sans doute, qu’ils ont plus de monde qu’ils n’en voudraient. Mais comment trouver les resquilleurs dans cette masse d’hommes? Enfin, le train arrive, nous montons, il s’ébranle.

Je commence à respirer.

Mes camarades de compartiment sont très gentils pour moi. Ils me passent des provisions. On me trouve un bleu que je compte utiliser plus tard. En effet, j’ai l’intention de descendre, une fois la frontière passée, et de gagner Paris par mes propres moyens. Je me vois déjà arrivant à Grenoble à temps pour le baptême de ma filleule. Marilyn Leflaine qui est l’auteur des gribouillages du wagon qui ornent la première partie de ce récit.

Un interprète allemand passe dans les couloirs. Des évadés se sont glissés dans le train; ils sont priés de se dénoncer. Les chefs de voitures français seront tenus pour responsables. Mon chef de voiture, très chic, vient me dire de ne pas bouger et de ne pas m’en faire. Il lui faut un certain courage pour résister ainsi aux menaces de sanctions qui pourraient se traduire pour lui par un retour de captivité.

Je commence à respirer un peu mieux.

Nous passons Cologne, Coblence. Je suis tout le temps hanté par la crainte de voir surgir Walter, l’infirmier allemand de notre infirmerie, qui est dans le train, je le sais et qui me reconnaîtra sûrement. Je ne jouis pas beaucoup du voyage malgré le temps splendide. De loin en loin, on aperçoit des Kommandos de prisonniers français qui gesticulent, gambadent et poussent des cris de joie à notre passage car l’envie est un sentiment rare chez les prisonniers. Moi, j’ai le cœur serré et j’ai l’impression que je les abandonne, que je les trahis un peu, sentiment injustifié, inexplicable mais réel pourtant. La journée se passe ainsi avec des alternatives d’angoisses et de confiance.

Vers 9 heures du soir, nous arrivons à Trèves.

Je me dis que si j’arrive à repartir de Trèves sans encombre je serai sauvé. Trèves! Tout le monde descend pour une distribution de soupe. Cette idée de descendre ne me sourit pas. Je tente de rester dans le wagon, trois fois j’y remonte, trois fois je suis chassé par les sentinelles. Redescendu sur le quai, je vois qu’en même temps qu’on distribue la soupe, on fait un contrôle. Un Allemand compare les numéros matricules des prisonniers avec un télégramme qu’il a dans la main. J’ai compris, je suis signalé. Je reviens au milieu de mes camarades du VI A ne sachant plus que faire. On me donne des conseils: - "Reste au milieu de nous - va te cacher". J’ai envie de rester parmi eux et d’essayer encore le coup du culot qui m’a si bien réussi jusqu’ici. Puis, je me dis que ça doit être une bêtise. Inexplicablement, il me semble que je dois combattre mon impulsion et que ce que je n’ai pas envie de faire doit être justement à faire. Fatale résolution. Si quelqu’un me proposait sa plaque matricule, je la prendrais, mais personne ne le fait et je ne leur en veux pas, ils risquent trop gros. Alors, je bondis dans une petite allée qui conduit aux cabinets de la gare. Je m’y installe pendant de longues minutes. Enfin, j’entends des pas, un camarade arrive et me dit: - "C’est presque fini, tu vas pouvoir sortir". Hélas, une sentinelle l’a vu, lui, l’a suivi, et, voyant qu’il y a quelqu’un dans les cabinets, s’installe devant. Il faut bien finir par sortir. Il me conduit alors devant un sous-officier et lui demande si j’ai bien été contrôlé. Je vois le moment où le sous-off va répondre oui. Mais un caporal, trop zélé, me prend en charge et déclare qu’il va s’en assurer au bureau de la gare. Il m’emmène avec lui. On commence par déclarer que ce n’est pas moi, puis on observe mieux le télégramme et on décide d’aller chercher l’infirmier allemand Walter, du VI A. Celui-ci, après un moment d’hésitation, me reconnaît.

C’est fini.

Ce beau rêve est terminé.

Consternation générale des prisonniers en me voyant reparaître, au milieu des sbires. La gare est pleine de gendarmes, de sentinelles en armes, de Schupo. Dans un coin, deux prisonniers évadés qui ont été repris à la faveur des recherches entreprises en mon honneur, car, il n’y a pas de doute, je suis considéré comme un prisonnier de choix. Tout le monde se congratule bruyamment du succès de l’opération. On me donne tout de même une soupe que je commence par refuser car, vraiment ma déception m’a ôté l’appétit. Mais les Allemands me conseillent de la manger tout de même, ajoutant qu’on ne pouvait savoir quand l’occasion se représenterait. Je reconnais la justesse de cette observation. Je suis gardé de si près que je n’ai même pas le droit d’aller reposer mon assiette sur la table. Un gros sous-officier commence à m’injurier, trouvant ignoble, qu’on puisse s’évader et ajoutant qu’il avait été lui-même prisonnier en France. Je lui dis: - "Et vous n’avez jamais cherché à vous évader?" - "Bien sûr que si!" - "Alors?..." Après cela, il la boucle et finit même par devenir presqu’aimable.

Et maintenant, en route vers le Stalag XII D qui se trouve à Trèves. Il faut longer tout le train qui va repartir sans nous, hélas. En passant devant mon compartiment, je reprends ma musette et, sous les exclamations apitoyées de mes camarades, je sors de la gare avec mes deux compagnons d’infortune, mon gros sous-off et deux sentinelles. Je jette quand même un coup d’œil à la ville en passant, car un vrai voyageur le reste dans toutes les circonstances. Ville assez banale, d’ailleurs, me semble-t-il. Puis, nous montons vers le Stalag, situé sur un plateau, le Petrisberg, qui domine la ville. La montée est éreintante car la pente, très raide, est pavée de cailloux glissants. Nous sommes tous trois exténués et, après les émotions de la journée, nous n’avons tous qu’une idée "dormir... dormir". Enfin, voilà le camp. Une interminable avenue, bordée de baraques en bois, le classique camp de prisonniers, beaucoup moins confortable que le VI A.

Après un petit stage au bureau où on nous déleste de nos maigres bagages, on nous conduit aux prisons.

C’est un bâtiment en pierre comprenant de petites cellules disposées de part et d’autre d’un couloir central. Celui-ci est fermé d’une grille qui le sépare du poste de garde et de l’entrée. Les cellules font environ 1m60 sur 1m70. Pour tout mobilier, un plancher et une lucarne ainsi qu’un poêle pour deux cellules, une ouverture étant faite dans la cloison pour le loger. Quelques robinets et un W.C. au centre du couloir.

On nous introduit tous les trois dans une cellule où se trouve déjà un type. A quatre, nous avons tout juste la place de nous allonger, mais, éreintés, nous sombrons tout de suite dans le sommeil.

Le lendemain, nous changeons de cellule, mais bientôt, on nous adjoindra un nouvel acolyte ce qui fait que nous serons quatre tout le temps.

Les journées sont monotones.

Le matin, vers 6 heures lever, toilette en vitesse, lavage de la cellule. Puis, café. Vers 10 heure 1/2, une demi-heure de promenade en rond l’un derrière l’autre sous la garde d’une sentinelle qui a charge de nous interdire de parler. Comme on nous a enlevé nos chaussures, remplacées par d’énormes sabots, nous avons une démarche traînante qui n’a rien d’esthétique.

A midi, un litre de soupe.

Vers 3 heures, nouvelle promenade d’une demi-heure.

A 5 heures, casse croûte: 250 grammes de pain avec un peu de saucisson, de fromage, de margarine ou de confiture.

Les journées sont longues.

Heureusement, on nous a rendu nos bagages et nous avons un gros morceau de pain, du papier et des crayons qui nous permettent de jouer au "Trafalgar" et un livre "Les Roquevillard" que nous lisons alternativement à haute voix pour que tout le monde en profite.

Nous sommes environ 90 dans cette prison, évadés pour la plupart. La proximité de la frontière fait qu’on s’évade beaucoup du XII D.

Nous étions déjà là depuis quatre jours et voyions avec terreur approcher le lendemain car le jeudi était jour de douches. Or, les tôlards ne ressortaient des douches que le crâne rasé. De plus, le Stalag XII D avait dans ses stocks les tenues orientales d’un régiment de zouaves dont il avait coutume de revêtir les évadés pour les rendre plus voyants! Je me voyais déjà regagnant le VI A, déguisé en zouave et le crâne rasé. Cette perspective ridicule m’ennuyait presque plus que l’échec de mon évasion. Nous n’avions, du reste, pas mauvais moral dans notre prison, nous nous ennuyions seulement un peu et nous avions faim.

Heureusement, au moment où nous allions nous rassembler pour les douches, on appela trois noms. Un gardien du VI A venait d’arriver pour nous ramener au bercail. Nous lui fîmes un accueil chaleureux qui dut l’étonner un peu, et, après avoir troqué, avec délices, nos sabots contre nos bonnes chaussures, nous dévalâmes en sa compagnie vers la gare. Chemin faisant, il m’apprit que Parisot avait été repris, lui aussi, et que je le retrouverai à Hemer. Cela me fit à la fois de la peine pour lui et du plaisir pour moi, à la pensée que j’aurais un ami dans ma prison".

L'on peut remarquer que l'auteur, dans son souci d'authenticité, précise : une interminable avenue, bordée de baraques en bois, le classique camp de prisonniers, beaucoup moins confortable que le VI A…

Pourquoi le récit rapporté par Tanguy de Courson sur les prisonniers Russes au VI A diffèrerait de celui du XII D décrit par Jean Louis Morvan ? Les textes corroborent. Une horreur décrite une nouvelle fois ci après.

" Entre temps, les prisonniers russes arrivaient par centaines. Vêtus de longues capotes grises, la casquette pointue à étoile rouge ou le bonnet de fourrure à oreillettes sur la tête, beaucoup étaient dans un état pitoyable. La plupart donnaient l’impression d’une grande bestialité. Pourtant chose curieuse, on ne comptait parmi eux aucun analphabète. Beaucoup avaient le type nettement asiatique. Les Allemands les menaient assez durement. Mais pas aussi durement que ne les menaient leurs propres policiers car, comme chez nous, on avait organisé une police inter prisonniers. Mais, tandis que nos policiers se contentaient de nous mener au sifflet et à la voix, chez les Russes l’argument habituel était le coup de ceinturon, appliqué n’importe où, à tous propos et hors de propos. Le spectacle révoltait naturellement les braves poilus français qui manifestaient leur réprobation par des sifflets et des "hou, hou" vengeurs. Nous étions, du reste, complètement séparés des Russes par un double réseau de barbelés qui n’empêchaient pas les âmes tendres d’envoyer aux pauvres diables faméliques en capotes grises qui mendiaient de la voix et du geste, cigarettes et provisions.

Bientôt, les Russes inventèrent un système plus pratique.

Du haut de leurs fenêtres, ils lançaient par dessus les barbelés des lignes lestées. Les bons cœurs qui passaient y attachaient leurs petites offrandes, cigarettes, bouts de chocolat, biscuits. Du haut de sa fenêtre, le pêcheur aux aguets qui constatait que "ça avait mordu", tirait alors vite sa ligne et, souvent, si un de ses camarades plus leste réussissait à intercepter l’envoi, nous assistions à un pugilat. Certaines "lignes de fond" restaient ainsi tendues toute la journée. Il semblait y avoir assez peu de camaraderies entre ces Russes. Il est vrai que la faim et la misère physique altèrent vite les bons sentiments: nous avions pu le constater, même chez les Français, pendant l’été 40. Malgré tout, les Russes, à ce point de vue, nous battaient.

Je me souviens, un jour, avoir observé de ma fenêtre un groupe de Russes qui revenait des douches. Certains semblaient bien mal en point et très faibles. Soudain, l’un d’eux s’effondra et ne bougea plus. Sur l’injonction de la sentinelle, deux de ses camarades s’approchèrent de lui et le traînèrent ainsi pendant une centaines de mètres sur le ventre, les jambes traînantes, la tête inclinée vers la terre. C’était horrible à voir. Enfin, toujours sur l’ordre de la sentinelle, deux autres Russes vinrent se joindre aux premiers et saisirent chacun une jambe de la victime qui se trouvait ainsi circuler, si je puis dire, vraiment ventre à terre. Ils n’avaient même pas eu l’idée de le mettre sur le dos ce qui aurait tout de même été moins pénible.

Bientôt, le typhus se déclara parmi les Russes.

Chez ces pauvres diables sous-alimentés, il fit des ravages. Tous les soirs, une charrette arrivait sur laquelle on empilait dix à quinze cadavres enveloppés et ficelés comme des paquets dans du papier d’emballage. Spectacle peu réconfortant auquel on finit par s’habituer pourtant.

On finit par s'habituer…

Terrible constat. Peut-on s'habituer à l'horreur ? Je le pense. L'important en ces circonstances est de sauver sa peau, ne pas penser que la prochaine charrette pourrait contenir notre tas d'os. Un sentiment qui évacue à des années lumières toutes sortes de préjugés. L'instinct de survie, celui qui vous anime dans les situations les plus périlleuses, supplante le raisonnement et l'homme redeviendrait (je le dis au conditionnel) une bête de somme. Ce n'est seulement lorsque demeure une petite flamme d'espoir dans notre esprit, que la réflexion peut l'emporter. Une faculté sélective qui ne devait pas être le commun de la plupart de ces malheureux mortels.



Lors de la bataille de Kiev, les Russes ont laissé plus de 600 000 prisonniers…